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Le Limousin médiéval par Christian Bélingard

Du Bosphore à Bourganeuf: l'aventure de Djidjim

Christian Bélingard



En 1453 Constantinople tombe aux mains des Turcs. La « nouvelle Rome » est définitivement conquise et la cité devient alors capitale de l’empire ottoman, prenant le nom d'Istanbul. A sa tête Mehmet II, le Conquérant qui ne va pas en rester là et poursuit l’expansion impériale. A sa mort (1481) deux de ses  quatre fils se disputent le pouvoir :  le prince Djidjim (ou Djem) est le perdant dans cette lutte sanglante et fratricide. Il décide alors de se rendre à l’ennemi et se réfugie à Rhodes où les Chrétiens tiennent encore l’île grâce notamment aux exploits militaires du Grand Maître Pierre d’Aubusson qui les avait repoussés avec vaillance durant l’été de l’année 1480.

 

Arrivée à Rhodes du prince Djidjim

Arrivée et accueil à Rhodes du Prince turc Djem ou Djidjim
Caoursin (f .175r)

 

Pierre d’Aubusson sait que Djidjim représente une menace durable pour son frère Beyazit ( ou Bajazet) et  donc la garantie d’une paix avec les Turcs. Beyazit prend l’affaire au sérieux et dépêche des représentants à Rhodes pour réclamer son frère rebelle. Les Chevaliers chrétiens décident alors, pour plus de sûreté, d’expédier Djidjim…en Auvergne (1). Ils obtiennent provisoirement ce qu’ils espéraient : la paix est conclue avec le sultan et ils récoltent 40 000 florins vénitiens pour la pension du prince Djidjim.

 

L’arrivée de Djidjim en France

Pierre d’Aubusson envoie donc le prince ottoman en France, peut-être accompagné de Jean de Blanchefort (ou son frère Guy), son neveu. Le 14 octobre 1482, Djidjim débarque à Nice, puis accompagné par une petite escorte, traverse différentes provinces du royaume de Louis XI avant d’arriver dans le Berry. Les Blanchefort détiennent en effet la seigneurie de Paudy ( actuellement dans l’Indre). Djidjim semble donc y avoir séjourné, avant qu’il ne soit transféré dans plusieurs châteaux de la Marche Limousine où il aurait successivement été reçu : Boislamy, Monteil-le- Vicomte, Morterolles (source : Arbellot, mémoire sur Zizim, Congrès des Sociétés Savantes,Paris ,1891). Mais on lui prépare déjà « princièrement » une forteresse-prison pour lui tout seul !

La tour Zizim de Bourganeuf

En effet, le grand Prieur Guy de Blanchefort, chargé de « l’accueillir », fait édifier pour son illustre prisonnier une tour de plusieurs étages à Bourganeuf ( Creuse). Celle-ci est conçue pour résister à un assaut. Un article de la Revue Contemporaine (1862) précise la distribution supposée des lieux : « au premier, au-dessus de la cave, étaient les cuisines ; au deuxième les chambres des serviteurs ; au troisième et au quatrième, les appartements du prince, et aux deux derniers, logeaient des chevaliers préposés à sa garde ». Toujours est-il que cette tour- connue aujourd’hui comme la Tour Zizim, altération de Djidjim- est un Monument Historique protégé qui a été restauré. On peut toujours voir les mâchicoulis qui couronnent l’édifice, les épaisses murailles étant percées d’étroites ouvertures, et à l’intérieur un remarquable escalier à vis restauré au XVIIIème siècle.
 
 
                                  zizim et église                                         
                                                                          La tour Zizim et l'église des Hospitaliers (Bourganeuf)

Epilogue

La présence de Djidjim à Bourganeuf suscite des inquiétudes chez les Musulmans. Le Grand Maître des Chevaliers de Rhodes est sollicité de toutes parts pour livrer son prisonnier, qui devient au fil du temps de plus en plus encombrant. Le pape, Innocent VIII, en vue d’un projet de croisade contre les Turcs réclame Djidjim alors qu’il veut désormais disputer à son frère, qui règne sans partage sur l’empire ottoman , les territoires qui appartenaient naguère aux Chrétiens. Pierre d’Aubusson est contraint de s’exécuter après accord du roi de France Charles VIII. Le 10 novembre 1488 une escorte conduit le Prince de Bourganeuf à Toulon. Il séjourne alors au Vatican, et finalement le Pape Alexandre VI (Borgia) le délaisse en 1494 à Charles VIII qui débute victorieusement les Guerres d’Italie. Mais alors que le roi de France s’apprête à partir pour Naples, Djidjim meurt dans des conditions restées mystérieuses, en 1495, à l’âge de 36 ans.

Djidjim, héros romantique

Le prince Djidjim (ou Djem) a laissé par son existence mouvementée et tragique l’image d’un héros romantique. La légende a fait le reste. Les visiteurs qui passent par Bourganeuf entendent souvent l’histoire de ce jeune homme sans patrie ni famille, tombé amoureux de Marie de Blanchefort ou d’Almeida sa favorite, écrivant des poèmes, tissant lui même pendant sa longue captivité les tentures qui ornaient son logis et que l’on montre encore aux visiteurs du château de Boussac, dans la Creuse. Inutile d’ajouter que la visite de la tour Zizim mais aussi de l’église Saint-Jean, ancienne chapelle de la Commanderie des Hospitaliers, est recommandée pour s’imprégner de cette histoire hors du commun et au demeurant authentique.

N.B:
La tour peut être visitée en été, ou bien à la demande pour des groupes. Cette prison fut-elle vraiment aussi dorée que la décrivent certains textes ? Les bains « à la turque » présumés n’ont laissé aucune trace dans les sous-sols, malgré des fouilles qui ont été effectuées. En revanche, les vestiges d’un moulin à grains ont été retrouvés tout près de la tour.
 

 

(1) A cette époque la Langue d’Auvergne ( province) regroupe un vaste territoire, du Poitou à la Savoie et de la Bourgogne au Velay, dont Bourganeuf ( Creuse) est la capitale. Les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem y possèdent de nombreux biens.

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