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Le Limousin médiéval par Christian Bélingard

L'oeuvre de Limoges


Au XIIe siècle en Occident, d’une part en Aquitaine et en Espagne du Nord, d’autre part dans la région rhéno-mosane, s’instaure un art différent qui incorpore à la technique du cuivre champlevé les diverses données de l’art roman en transposant des modèles byzantins, peut-être transmis par des essais faits en Italie du Nord (autel portatif de sainte Foy à Conques). Cet art emprunte aussi des motifs à l’Espagne naguère mauresque où, à la faveur des mouvements de reconquête, s’établissent des ateliers, liés d’abord à celui de Conques. Un style puissant et indépendant s’affirme à Silos vers 1170 («urna» de Santo Domingo de Silos, à Burgos). L’effort requis par le champlevage, véritable sculpture en creux, s’inscrit avec une vigueur monumentale dans les grandes figures isolées sous des portiques. On ne connaît pas les sites de formation et d’activité de ces maîtres; mais leur art ressortit à une commune culture occitanienne, suscitée et propagée dans le domaine dynastique des rois Plantagenêt, le duché d’Aquitaine élargi de la Normandie à la Castille par la Navarre; ils ont laissé des œuvres majeures telles que l’effigie funéraire de Geoffroy Plantagenêt, comte d’Anjou, père d’Henri II (musée du Mans, vers 1165) et le frontal de San Miguel de Excelsis datable de 1180.

Châsse de SaintThomas Becket, Limoges,
vers 1190-1200  (Musée de Cluny)

Fortement établis à Limoges dès 1170, ces artistes sont en liaison avec l’Espagne, mais ils développent une iconographie résolument locale (châsses de sainte Valérie à Londres et Saint-Pétersbourg). Avant 1190, ils élaborent un grand autel avec son ciborium, puis sept grandes châsses à Grandmont, maison de religieux réformés au nord de Limoges, où Henri II désire établir le panthéon de sa dynastie (châsse d’Ambazac). Émaillées dans des gammes de couleurs riches et vibrantes, les figures et les récits historiés se détachent sur des fonds d’or souvent animés d’une «arabesque» empruntée aux orfèvres hispano-mauresques et aux nielleurs byzantins; les ornements transposent dans l’émail les orbes et la faune des soieries orientales.

Vers 1190, une vague de byzantinisme se reflète dans un nouveau style détendu, classicisant. Avant-coureur méridional de l’art gothique, il s’affirme par l’harmonie des figures d’or, ciselées sur un fond d’azur profond, constellé de rosettes ou parcouru de rinceaux en gammes de tons nuancés. G. Alpais attache son nom à ce style. Avant la fin du XIIe siècle, les officines limousines fortement organisées exportent par dizaines reliures, croix et châsses jusqu’aux confins de la chrétienté, en Sicile, à Novgorod, à Trondheim.

Au XIIIème siècle, les ateliers de Limoges, véritables manufactures, inondent le marché européen de leurs productions et vont même essaimer en Toscane, à Rome, en Sicile, en Catalogne. Mais, petit à petit, on ne laisse plus à l’émaillage qu’un moindre rôle dans l’«œuvre de Limoges»: il sert à tendre un écran ornemental derrière des figures repoussées en demi-bosse et dorées, en particulier sur les tombeaux d’apparat dont Limoges se fait une spécialité; les «émaux» donnent même leur nom aux partitions colorées des écus qui timbrent les décorations généalogique et héraldique, dans cette phase de codification du blason.Le Paris de saint Louis devient le plus grand marché européen d’arts précieux. Sous Philippe le Bel, il attire les Limousins, les Flamands, les Rhénans; sous l’impulsion de patrons tels que le roi ou sa parente, Mahaut d’Artois, un Guillaume Julien donne un regain de faveur aux émaux cloisonnés sur or, tels qu’ils survivaient en Italie du Sud, à Venise, simples chatons à rinceaux menus à l’usage du joaillier.
plaque de châsse provenant de l'Eglise du Chalard
et représentant Trois Apôtres, Limoges vers le milieu
du XIIIème siècle (Musée de Cluny)

   
article de l'Encyclopedia Universalis, rubrique "emaux" (extraits)

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