Le phénoménal exploit de Goulfier de Lastours à Marrah
A l'automne 1098, Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse et son armée ( dont fait partie le contingent limousin) sont arrivés à Rubea ou Rugia ( aujourd'hui Riha) où ils campent au pied des murailles. La ville est située à mi-distance entre Antioche et Marrah. Les croisés profitent de leur position pour aller piller Albara dans des conditions particulièrement sanglantes puis ils arrivent sous les murs de Marrah à la fin novembre. Les défenseurs de la ville se montrent alors sûrs de leur capacité à résister aux assaillants car la ville est bien fortifiée. De nombreuses tentatives de pénétrer dans la cité se soldent par des échecs répétés. Les habitants de la région s'enfuient dans les montagnes et entrainent leurs troupeaux avec eux, privant de ressources toute une armée ennemie affamée. De surcroît, des raids sont menés depuis Damas par les divisions turques qui occupent la Syrie et font des pertes chez les Croisés.
Le temps presse pour Raymond de Saint-Gilles qui se ravitaille en bois pour donner l'assaut à Marrah avec du matériel approprié. Une immense tour en bois est construite pour dominer les remparts ainsi que des béliers et des lance-projectiles. Les soldats chrétiens s'efforcent aussi de combler les fossés tout autour des murailles de la ville. Tandis que les assaillants tirent leurs munitions et expédient des tisons enflammés par dessus les remparts, les assiégés déversent de la chaux vive, des brandons et même "des ruches remplies d'abeilles" pour décourager les Croisés de poursuivre l'assaut.
Maaret an-Numan ( citadelle à l'arrière-plan)
Le 11 décembre 1098, quinze jours après le début du siège, Guillaume de Montpellier bombarde une nouvelle fois de pierres la ville qui résiste toujours derrière ses remparts, tandis que le cor exhorte les soldats à la bravoure. C'est alors que Goulfier de Lastours, chevalier limousin déjà remarqué lors du siège d'Antioche par Raymond de Saint-Gilles (1) s'illustre de nouveau. Il saisit une échelle, l'applique contre la muraille, et en gravit les degrés pour monter à l'assaut. D'autres chevaliers l'imitent mais l'échelle finit par rompre sous le poids des armures. Goulfier est presque seul, en haut de la muraille. Certains de ses compagnons ne peuvent s'y maintenir et trouvent la mort en chutant dans le camp ennemi. Et Goulfier continue à ferailler avec son épée, bravant tous les dangers, et appelant à l'aide d'autres soldats.
Les flèches et les javelots pleuvent sur le guerrier limousin qui se protége avec son bouclier, comme il peut... Il s'apprête à battre en retraite et à se faire remplacer à la tête du détachement, lorsqu'une multitude de Croisés parvient à faire irruption soudain à l'intérieur des murs grâce à la vaillance de Goulfier de Lastours. Les assiégés finissent par lâcher prise et cèdent à la panique. Dans les jours qui suivent la ville est pillée, et les habitants sont massacrés jusque dans les grottes où ils se sont réfugiés. Des scènes de cannibalisme sont rapportés par les chroniqueurs: " des Chrétiens poussés par la faim, dit Albert d'Aix, ne craignirent pas de se nourrir, non seulement de la chair des Turcs et des Sarrasins qu'ils avaient tués, mais même de celle des chiens qu'ils faisaient rôtir". Après la prise des Marrah, l'occupation chrétienne se prolongea encore un mois, avant que l'Armée ne reparte en direction de Jérusalem.
P.S.: la chanson d'Antioche, écrite par un moine chroniqueur nommé Béchade, raconte les exploits de Goulfier de Lastours, notamment lors de la prise de Marrah. Il y est aussi question d'une légende restée célèbre: celle du chevalier au lion ( voir ici).
(1) Goulfier avait pris place avec le comte de Toulouse dans la citadelle élevée aux abords du pont d'Antioche ( J.F.A Peyré, Histoire de la première croisade, tome 2, p 220)