Courbefy, son ancien château-fort, son empreinte médiévale
Le village fantôme de Courbefy fait depuis quelques semaines le "buzz" sur le web. En 1863, un érudit originaire de la région, M. Félix de Verneilh, décrivait ainsi cette colline spectaculaire dans le paysage du sud de la Haute-Vienne: « Courbefy, avec son site désolé, envahi comme autrefois par des bruyères et des buissons que l'on ne coupe jamais, avec ses immenses fossés et ses remparts, d'où la vue plane sur tout le Limousin et le Périgord depuis les montagnes de Grandmont jusqu'au Cantal, jusqu'aux coteaux du Bordelais et de la Saintonge; Courbefy est grandiose, imposant même… »
Courbefy est situé sur le territoire de la commune de Bussière-Galant ( Haute-Vienne). C'est aujourd’hui un hameau déserté, naguère village de vacances, où une pancarte routière invite le visiteur à découvrir une bien modeste chapelle. Il s’agit en fait de la reconstruction, dans le courant du XVII° siècle d’une église médiévale dont les titres liturgiques étaient la Vierge et Saint-Eutrope. On la date généralement du XIII° siècle et elle possède quelques belles pierres tombales dont celle du prêtre François Cabirol ( 1592) visible juste devant l’autel. Certains historiens ont fait de Courbefy, sans preuves formelles, le lieu de naissance de Saint Waast ou Vaast (mort en 540), évêque-missionnaire d’origine aquitaine qui fut chargé d’instruire Clovis dans la religion catholique. On prête aussi à Courbefy l’existence d’un ancien oppidum gaulois, en raison de la présence d’un double fossé qui demeure assez mystérieux par ses dimensions.
Mais l’existence d’un castrum médiéval peut aussi expliquer, comme à Chalucet, la présence de ces cavités. Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques ruines de l’édifice au milieu des broussailles. C’est suffisant pour découvrir que ce château féodal occupait une position stratégique. Nous sommes ici sur le rebord d’un plateau où l’altitude atteint 554m, ce qui constitue un des points culminants des Monts de Châlus entre Périgord et Limousin.
Le castrum
Tout indique que le château fut construit sur ordre des vicomtes de Limoges, la forteresse faisant visiblement partie de la ligne de défense de la vicomté, installée en limite du Périgord. Les vestiges encore visibles au XIX° siècle ont permis d’en préciser l’architecture. Celle-ci ne paraissent pas antérieures au XIII° siècle. Des tours rondes flanquaient les courtines. La tour située à l’Est, d’une construction plus solide, était octogonale. Elle servait de donjon. Ses deux étages supérieurs présentaient une forme voûtée qui a pu être observée, bien que l’édifice se soit écroulé lors de la destruction un peu stupide ordonnée sous Louis XIV, alors que la sécurité publique n’était plus menacée.
Aperçu historique
Dés le XIII° siècle la forteresse de Courbefy est mentionnée dans les textes anciens. En 1261, elle faisait partie de la châtellenie de Saint-Yrieix. Elle était désignée dans l’hommage que les Vicomtes de Limoges rendaient au Chapitre pour leur domaine arédien. En 1272, le seigneur de Courbefy est Géraud de Maulmont qui possède d'autres places fortes (Châlucet, Châlus, Bré, Bourdeilles, Saint-Pardoux-la-Rivière, etc…). En 1336, Courbefy passe cependant en la possession du vicomte de Rochechouart . Celui-ci épouse en effet Jeanne de Sully, fille de Henry, grand bouteiller de France, et de Jeanne de Vendôme.
Cette période est particulièrement troublée, en raison des affrontements contre les Anglais en particulier. En 1370, Bertrand du Guesclin, connétable de France, s’empare de Saint-Yrieix pour le compte de Jeanne de Penthièvre, vicomtesse de Limoges. Des forteresses comme Courbefy changent alors de main, mais sont reprises presque aussitôt. Divers documents témoignent de ces combats : « en avril 1372, Jean, sire de Pierre-Buffière, délivre une quittance de douze arbalètes, destinées aux forteresses du roi en Limousin ». Ce qui en dit long sur l’importance relative des moyens engagés à cette époque. Une autre quittance évoque « le siège de Courbefy pour lequel des charpentiers, maçons, perriers et manouvriers sont payés le 6 septembre 1404. » L’évacuation coûte alors 14 000 écus, après douze semaines de siège.
Les pillards
Comme d’autres forteresses- par exemple Chalucet-, le château de Courbefy fut occupé au début du XV° siècle par des garnisons de pillards qui mettaient à sac le pays. On avait, à la même époque, promis 200 livres au capitaine de Courbefy pour « garder une saison ses gens de piller et appatisser » la contrée. Plusieurs noms circulent : en 1435, Odet de la Rivière, seigneur de Château-Larcher l’occupait et « s’y conduisait comme en pays ennemi ». Puis il est question de Jean de Xantoux qui accepta de se retirer moyennant une rançon. L’argent plus efficace que les armes ? Courbefy fut bel et bien évacué par les pillards et, en 1438, le sénéchal du Limousin tenait une garnison dans la terrible forteresse.
Les d’Albret
Au XV° siècle, Courbefy retrouva un peu de prestige. Des actes officiels y furent signés. On retrouve dans les archives une transaction en vertu de laquelle Guillaume de Bretagne, comte de Penthièvre, comte du Périgord et vicomte du Limousin, accorde à Bernard Dumas, prêtre, curé de la paroisse de Pageas en Limousin, le droit de dîme sur la dite paroisse. L'acte est passé à Courbefy, le 16 mars 1450. Courbefy dépendit de la baronnie de Chalucet et passa finalement entre les mains de Jean d’Albret, comte de Nevers et de Rhétel, baron de Donzy, seigneur d’Orval. Un procès eut lieu à l’issue duquel Courbefy et d’autres possessions revinrent à Alain d'Albret.
Ainsi le Parlement de Bordeaux, par arrêt du 16 novembre 1514, reconnut Alain d’Albret seul et légitime propriétaire des « châteaux et terres de Maulmont, Chalus-Chabrol, Chalucet Courbefy et Solignac, » à la charge, toutefois, de verser au seigneur d’Orval une somme de 5,944 livres, 4 s. 1 d., monnaie tournoise. Ce paiement fut effectué le seize novembre de la même année, à Châlus, entre les mains de Martial Douhet, marchand de Limoges. Alain d’Albret avait épousé Françoise de Bretagne. Leur fils fut roi de Navarre. Ainsi furent réunies dans les mêmes mains la vicomté de Limoges et la seigneurie de Châlucet. Mais les possessions de la famille d'Albret furent peu à peu démembrées. Henri IV et sa sœur, comme représentants de la prestigieuse maison, vendirent Courbefy en 1600. Après les d’Albret, la forteresse fut possédée successivement par les seigneurs de Jumilhac, de Brie et de Ribeyreix , lequel en a été le dernier possesseur. Le château fut finalement démoli en 1669, car il était redevenu un repaire de brigands…
Légendes et tradition orale
Bâti dans un but purement militaire, le château de Courbefy était une résidence sans aucun confort et ne fut jamais habité par des familles seigneuriales établies sur le lieu. Quant à l'église de Courbefy, elle fut détruite avec le château. On utilisa la poudre à canon pour la faire exploser, comme en témoignaient encore au XIX° siècle des pans de murs tombés d'une pièce.
La paroisse de Courbefy était minuscule et avait pour réputation l'extrême pauvreté de sa population. Avant la révolution, selon Félix de Verneilh, un prêtre y vivait en ermite, sans dîmes, sans portion congrue, c'est-à-dire du travail de ses mains, comme un moine du Moyen âge. On raconte encore que, à défaut de clocher et de cloche, il convoquait les fidèles avec une bargue, l'instrument dont les paysannes du Limousin se servaient pour broyer le chanvre. Cette affirmation devint légende, le jour où on retrouva mention de la cloche de l'église qui avait bel et bien existé. Autre fait retenu par la mémoire populaire: Courbefy aurait été jadis une petite ville nommée « de Lébret ». Peut-être est-ce une référence à la famille d'Albret qui avait possédé le lieu.
Courbefy, carrefour antique ?
Selon la carte archéologique de la Gaule, Courbefy était placé à un carrefour important de deux voies d'origine pré-romaine. L'une de ces voies est connue par les historiens comme la « diagonale d'Aquitaine » Bourges (Avaricum)-Bordeaux (Burdigala). L'autre voie, explorée par des archéologues, est connue comme la route des métaux, vieil itinéraire antique qui reliait l'Armorique à la Méditerranée. D'anciennes cartes de voies romaines y ont également situé le Curvifines mentionné dans l'itinéraire d'Antonin sur la route reliant Vesunna ( Périgueux) à Augustoritum (Limoges).
Christian Bélingard